Un Noël sous pandémie.
Comment le vivrons-nous ? Le cœur tellement serré qu’il en fera mal ? En toute sérénité par un effort d’acception de l’inévitable ? Avec un visage se retenant de grimacer de chagrin et d’ennui, peinant à retenir ses larmes ? Avec un sourire accroché aux lèvres malgré tout, accordant la priorité au Grand Avènement d’il y a plus de deux millénaires que remémore cette fête si importante pour tous ?
L’éventail des réactions et attitudes possibles est large, tant de facteurs peuvent les influencer ! Le premier point à considérer est la condition spécifique de chacun des vieux que nous sommes, son degré de solitude ou d’isolement actuel, son aptitude à gérer l’éloignement imposé, à s’inventer des compensations suffisantes pour empêcher que ce nouveau déchirement s’ajoute à tous les autres, inhérents au fait d’avancer en vieillesse.
Ouvrons ici une parenthèse : je fais une distinction entre solitude et isolement. Mon expérience personnelle et mes observations des différents milieux que j’ai été appelée à côtoyer, me font voir la première comme la conséquence d’un choix délibéré, celui d’une troisième voie – la moins empruntée bien sûr… – d’une liberté et d’un déploiement à plus large échelle, pleinement acceptée et assumée. Le second n’a rien de tel : s’isoler des autres, ressentir un grand vide en soi et autour de soi, entretenir une fermeture qui tient lieu de rempart pour éviter la souffrance, voilà une option que personne ne peut choisir de son propre gré.
Fermons la parenthèse.
Il frappe à ma porte, l’ouvre et entre. Il vient changer une ampoule. Homme affable s’il en est un, de conversation habituellement sage et riche de connaissances, j’ai peine à le reconnaître. Il m’apparaît un peu bougon, triste, silencieux. Il me confie le gros renoncement auquel sont confrontés tous les grands-papas comme lui. Au-dessus de son masque, son regard se mouille : « Je n’ai pas vu mes petits-enfants tous ensemble depuis si longtemps ! » Et de me montrer des photos où se perçoit un contraste évident entre la coupe traditionnelle du sapin de Noël de la fin de semaine dernière et celle de l’année précédente. Il y a amené ses petites-filles dans les deux cas. L’absence de neige – ou presque – au sol cette année enveloppe de grisaille tout le décor ambiant. Les fillettes ont grandi, leur minois est plus sérieux, il s’en dégage un enthousiasme un peu mitigé si on le compare avec celui d’il y a un an, rayonnant, en parfaite harmonie avec la blancheur scintillante du sol. De toute évidence, mon visiteur appréhende ce Noël sous pandémie, en accepte mal l’interdiction de gestes de tendresse, de rapprochements chaleureux.
Voilà un exemple bien concret de l’atmosphère familiale pour les gens de la voie la plus empruntée. Qu’en est-il de ceux de la voie la moins empruntée ? Il n’y aura pas de dîner de Noël pour les personnes âgées seules dont je suis. Les dévoués bénéfiques des Petits Frères ne viendront pas cueillir leurs grands amis pour les rassembler dans un restaurant ou une salle à manger d’hôtel afin de partager un délicieux repas et passer de précieux moments entre gens de même condition.
Dans un cas comme dans l’autre, l’apitoiement est à éliminer. Inventons plutôt une ronde imaginaire où tous se prennent par la main pour exécuter une farandole infinie, aux accents d’une joie de qualité, toute intérieure, celle qui demeure envers et contre tout.
JOYEUX NOËL !
SOPH