J’étais là depuis quelques jours seulement. En pleine adaptation, je m’ajustais tout doucement à ma nouvelle vie. Un jour, je posai une question à la personne en poste à la réception. Elle me répondit. À ce moment, je commis l’erreur de lui faire remarquer que sa réponse, tout comme celles que l’on nous sert parfois, était « stéréotypée ». Quel sens a-t-elle prêté à ce mot ? Au lieu d’échanger sur ce sujet, ce qui aurait pu engendrer une conversation cordiale et éclairante, voilà que, sur un ton indigné, elle me demanda de la suivre : elle désirait me parler seule à seule. Elle me fit comprendre que ma façon de m’exprimer ne convenait pas au genre de la maison. Elle termina par un étonnant conseil : celui de quitter les lieux, de changer de résidence. En guise d’exemple, elle me raconta le cas d’un couple qu’elle avait ainsi persuadé de partir, l’épouse ne parvenant pas à se mouler à l’esprit du lieu. Elle me prédit que, si j’ignorais son conseil, je risquais de me sentir bien malheureuse.
Je me posai mille questions. Adepte de formules parfois ironiques pour décrire les choses qui m’étonnent, en avais-je utilisé une qu’elle avait interprétée au premier degré, jugée non conforme alors qu’elle se voulait juste humoristique ? Cela m’apparaissait peu probable puisque les échanges avec qui que ce soit depuis mon arrivée étaient à peu près inexistants : occupée à mon installation, je n’avais guère le temps de jaser !
L’écart d’âge entre nous deux est considérable. Il est possible que, de ce fait, s’ensuive un clivage de vocabulaire. En sommes-nous à ne plus tout à fait parler la même langue ? Cette génération, ayant baigné dès l’enfance dans la technologie tous azimuts, ne pigerait plus notre façon de parler ? Nos phrases seraient-elles trop longues à leurs oreilles ? Est-ce pour cette raison que, souvent, faisant fi du savoir-vivre le plus élémentaire, on se coupe la parole à qui mieux mieux ?
Je suis restée. Pas un seul instant je n’ai songé à suivre son conseil.
Et je ne me sens nullement malheureuse.
Au contraire, ma satisfaction de vivre en mon nouveau « nid » augmente de jour en jour. Je m’y sens bien, en toute sécurité, bien entourée.
Rien ne force une personne, jeune ou âgée, à se renier elle-même dans sa culture et son langage lorsqu’elle intègre un nouveau milieu de vie.
Vraiment rien ni personne.
SOPH