Pour qui voteront les vieux?

Pour qui voteront les vieux ?

 Il est inutile de poser la question, la réponse va de soi. Nous ferons notre choix en toute connaissance de cause, nous suivrons la voie la plus naturellement tracée. Au siècle dernier, il fallait avoir atteint 21 ans pour voter. L’éventail des choix était limité, il n’y avait que deux partis, deux couleurs : le Rouge et le Bleu. Ce qui n’empêchait en rien les discussions animées dans les chaumières. Il était difficile de déroger à la tradition, la fidélité à la couleur familiale prenait figure de devoir de transmission. Une fois les élections passées, les grandes personnes discutaient au sujet de la mystérieuse distribution d’énormes boîtes sur les balcons de certaines maisons, mais pas sur le nôtre. Cela m’intriguait beaucoup. J’ai fini par comprendre que nos voisins avaient voté du bon bord d’où les appareils ménagers modernes qui orneraient désormais leur cuisine. Il a fallu attendre quelques décennies avant que le Rouge et le Bleu atténuent leur teinte, peu à peu, se présentèrent d’autres options, de nouveaux partis gagnèrent les régions. On abaissa aussi l’âge requis pour voter, il passa de 21 à 18 ans.

Puis, vint le temps où l’évolution induite par la Révolution tranquille aboutit sur un projet emballant mené par un grand homme : René Lévesque. En notre jeunesse nous eûmes  l’inestimable privilège de vivre l’effervescence d’un pays à bâtir, qui nous appartiendrait, que nous pourrions façonner selon nos valeurs, qui préserverait notre langue, assurerait l’autonomie de nos actions et décisions. Il fut presqu’à notre portée, nous avons rasé de près l’opportunité de nous l’approprier.

Est-ce à dire que les indépendantistes de la première heure accorderont leur vote au PQ ? Je ne crois pas. Ce ne serait qu’un détournement nostalgique d’une flamme que tout le monde croit éteinte. Mais elle ne l’est pas. Voilà ce qui compte. Elle couve sous les cendres d’une apparente résignation, elle se ravivera à son heure, le Québec sera indépendant un jour, il n’y a aucun doute là-dessus. La forme déjà expérimentée n’a pas marché, il faudra en changer, l’adapter. Quand j’imagine cet heureux chambardement qui ne surviendra pas de notre vivant, un mot de trois lettres se garroche dans le dédale de mes neurones sans pouvoir se poser : QUI ? Tout est là ! QUI le peuple acceptera-t-il de suivre, QUI aura sur lui un ascendant tel qu’il l’appuiera jusqu’à l’aboutissement de ce projet grandiose ?  QUI arborera le charisme, la profondeur de pensée du fondateur du PQ, grâce auquel notre fierté d’être québécois a fait des pas de géant ? Je ne m’inquiète guère là-dessus : lorsque viendra le temps de procéder à une séparation sans acrimonie ni violence, un leader, homme ou femme, se révèlera.

La destinée d’un pays, tout autant que celle des individus, bifurque parfois de façon si inattendue ! En 1970, mon frère et moi avions réussi l’exploit de faire voter notre père pour le nouveau parti dirigé par le journaliste qu’il avait tant admiré quelques années auparavant à la télévision dans Point de mire. Il passa du rouge vif au bleu nuancé, comme quoi tout est possible. Ce fut son dernier vote, il décéda en septembre de cette même année.

Comme fut apprécié le retour au comportement civilisé du dernier débat ! Je rends hommage à PSPP d’avoir brandi bien haut le flambeau de l’indépendance tout au long de la campagne. Sa ténacité et sa fermeté auront à long terme des répercussions bénéfiques, ainsi vont les nobles causes, il s’agit d’être patient.

Mon vote s’enrobe de reconnaissance envers le gouvernement qui a su gérer de façon exemplaire les jours sombres de la pandémie. Sa fidélité, sa transparence, son empathie, son partage honnête des hauts et bas de la capricieuse COVID n’ont à aucun moment flanché.

Dites-moi connaissez-vous quelqu’un qui aurait fait mieux ?

 

Michelle Anctil

3
1

Les deux mots en V…

Les deux mots en V…

 

L’être humain se conduit parfois en paradoxe ambulant. C’est mon cas depuis que je publie ces blogues. Me voilà aux prises avec deux mots en V.  Il en est un que j’exalte, je me pose le défi de lui redonner son lustre de noblesse, le réhabiliter en tant que porteur de sagesse, de savoir, d’expérience*. Depuis le tout début, je le tape sur mon clavier en caractères gras afin qu’il se détache et prenne la place primordiale qui lui revient : VIEUX. Je le porte avec une grande fierté que je souhaite contagieuse, de sorte que chaque individu de ma génération en soit atteint. L’autre mot m’horripile sérieusement. Dès qu’il est question de nous, on le sert à toutes les sauces, on le revêt d’un pouvoir de généralisation automatique : VULNÉRABLES. Si moi, qui ai entamé la seconde partie de ma tranche octogénaire, je refuse qu’on m’en coiffe, qu’on me l’attribue, qu’en sera-t-il de la catégorie des 70 ans+ à qui, ces derniers temps, on tente de faire croire qu’ils sont vieux ? J’espère qu’ils le réfuteront fermement. En 2022, il est faux, je dirais même à la limite malhonnête, de les y classer. À part certains cas extrêmes, à 70 ans on n’est ni vieux, ni vulnérables. Non qu’ils soient négatifs en leur sens premier, mais en ce qui concerne mon propos, leur utilisation est fortement prématurée.

Les regroupements humains, quelles qu’en soient les caractéristiques d’âge ou de condition, obéissent aux mêmes lois qui régissent tous ceux qui composent le reste de l’Univers. Des astres et des étoiles de la voûte céleste jusqu’aux troupeaux de bêtes, en passant par les peuples des quatre coins du globe, chaque élément possède son individualité, aspire à une vie distincte, une évolution qui lui soit propre. Je ne nie pas que les gens âgés, du seul fait de leur vieillesse justement, présentent un côté vulnérable lors de périodes critiques. Ce qu’il faut éviter est de les présenter sous cette étiquette avec insistance, laissant ainsi croire qu’ils le sont inévitablement, qu’il faille les traiter comme s’ils requerraient constamment des interventions monopolisant des ressources au détriment de besoins réels à combler ailleurs. Récemment, j’entendis au cours d’une émission à TQc, Boucar Diouf, homme sage s’il en est un, souligner à quel point il est nécessaire d’user de nuance dans notre interprétation des évènements d’ordre politique ou autre. Nuance… voilà un autre mot trop peu entendu dont les manifestations concrètes sont rares sinon absentes en notre vie publique actuelle. Ça n’est pas user de nuance que de parsemer le vocabulaire qui nous est consacré de mots lourds, évocateurs d’inconfort, malaises, limitations, plutôt que de sérénité, joie douce,  libre expression, humour assorti d’un brin d’autodérision, propice à l’allègement des humeurs qui pourraient vouloir bifurquer vers des allées sombres. Les mots ont toujours une longue portée, qu’ils soient répétés à un enfant ou à un vieillard, à force de les entendre, l’un comme l’autre aura tendance à devenir ce qu’ils décrivent. À force de se faire traiter de vulnérables on le devient, l’écolier qu’on traite de paresseux continuera de plus belle à lambiner au lieu que d’étudier. Tant qu’à se faire coiffer d’un chapeau pourquoi ne pas le porter en permanence, n’est-ce pas ?

Sur un autre sujet, il y avait un grand absent au face-à-face de jeudi dernier à TVA : le SAVOIR-VIVRE. Se montrera-t-il le nez au débat de demain ? C’est à souhaiter. Sinon notre monde politique à venir se révélera en plein déclin de decorum, élément essentiel à l’aspect noble de sa mission.

Comment éviter de parler d’élections…

Michelle Anctil

*Notre PM est un idéaliste le 19 juin 2020

À quand la vraie question? À quand la vraie réponse?

 

À quand la vraie question ? À quand la vraie réponse ?

             En ouvrant le journal ce samedi du 14 mai dernier, elle m’a sauté dans la face, impossible de passer outre. Juste au-dessous de LIBRE OPINION, le titre m’interpella sans aucun ménagement : Fatiguée de vivre ainsi.  Le signataire expose le cas de sa maman de 91 ans sur trois colonnes de texte, criant de lucidité, décrivant des états de mal-être, chacun grugeant chaque jour davantage une réserve de tolérance déjà effritée par les crocs impitoyables de l’âge. Pertes, limitations, impuissance, expérimentation de soins divers, changements de médication, séjour à l’hôpital, déplacements d’un lieu à un autre. La litanie d’une longévité imposée est interminable, sa voix percute le socle d’un monument érigé à la gloire de la science. J’ai surligné en rose certaines phrases comme pour en atténuer la teinte sombre. La plus frappante : Mais le système de santé étant ce qu’il est, on pousse ces pauvres personnes âgées qui n’en peuvent plus de vivre à vivre encore plus longtemps. Puis, ici et là, de simples expressions on ne peut plus éloquentes et évocatrices de la triste réalité : …personnel surchargé …roulement de personnel …ne peut rien garantir …listes d’attente très longues… La dernière résume tout : Ma mère veut tout simplement partir… Voilà un exemple parfait de ce que j’appelle une vie rétrécie.

Au tout début de ma vie en RPA, un jour, une gentille dame de 93 ans, intéressante et allumée, avec qui je dinais le midi, me dit sur un ton où transperçait l’impatience : Nous vivons trop vieux !  Une autre, sans doute du même âge, m’apprit le décès de son second mari datant de seulement quelques mois et exprima, un trémolo dans la voix, un souhait désespéré : Ce que j’aimerais m’en aller derrière les nuages moi aussi !

Ces dames étaient-elles les seules à entretenir de telles pensées ? Combien d’autres vieux refusent la continuation de leur vie rétrécie sans l’avouer afin de ménager leur entourage ? Ou les représentants de l’autorité ?  Ce sujet, délicat entre tous, flotte dans une vacuité néfaste : jamais il n’est franchement abordé. On l’évite, on le contourne, on l’occulte, à peine osons-nous dire avoir perdu un être cher récemment, le sujet semble tabou. On fait comme si on ignorait que, devant nous, il reste bien peu de temps et qu’usant de son libre arbitre il appartient à chacun de s’exprimer ouvertement sur la façon dont il désire finir. Aurions-nous pu éviter le nombre effarant des victimes de 2020, du moins le diminuer, si, avant d’atteindre leur état ultime de dépendance et d’impuissance, ils avaient pu faire savoir qu’ils aimaient trop la vie belle, pleine, libre, sereine, pour imposer aux êtres aimés le spectacle et la charge d’une vie devenue trop rétrécie en toutes ses fibres et tous ses tissus ?

Je ne sais quel âge j’avais. Mon père devait assister à deux messes à chaque dimanche. À la petite messe de 7 heures où il communiait en étant à jeun, et plus tard, à la grand-messe où il chantait dans la chorale. Entre les deux, il prenait son déjeuner. Ce matin-là, la porte s’ouvrit brusquement, l’un de mes cousins, complètement effaré, entra sans frapper et annonça : Mon oncle, c’est fini, la belle-mère est passée de l’autre côté ! Mon père, qui se balançait parfois sur les pattes arrière de sa chaise tout en mangeant, tomba à la renverse et se retrouva par terre étendu sur le dos. La belle-mère en question était sa sœur.

Ce jour-là, dans ma petite tête d’enfant, je sus ce qu’était la mort. Ça fait passer quelqu’un qu’on aime de l’autre côté et ça provoque une bien grosse surprise quand on l’apprend. Mourir ça n’est pas partir, c’est juste changer de place. Mourir ça n’est pas cesser de vivre, c’est juste vivre ailleurs. D’un côté à l’autre l’amour circule comme si de rien n’était.

Pourquoi donc évitons-nous tant d’en parler telle qu’elle est ?

Michelle Anctil

Les maisons des aînés versus jarnigoine

Maisons des aînés versus jarnigoine…

 

Lorsque j’étais enfant, il est un mot que j’ai souventes fois entendu, maintenant disparu de notre vocabulaire. Je n’eus aucune difficulté à en saisir le sens même en mon tout jeune âge. Lorsque mon père et les autres adultes trouvaient que quelqu’un prenait des décisions  inappropriées, jugeaient un projet ou une situation comme étant sans allure, on disait sur un ton exaspéré, presque scandalisé : « Qu’il, qu’elle a donc pas de jarnigoine celui-là, celle-là ! Ça a aucun bon sens son affaire ! »

C’est à n’y rien comprendre. En février dernier, le sondage hebdomadaire provenant de mon syndicat de retraités de l’éducation portait sur les maisons des aînés. Notre assentiment portait sur quatre choix en vue de l’amélioration de nos conditions de vie : 1) Les services à domicile ; 2) L’ajout de personnel ; 3) Les maisons des aînés ; 4) La réfection des CHLSD. Or le résultat plaça les maisons des aînés nettement au bas de l’échelle avec un pourcentage de seulement 3,79%, les autres récoltaient respectivement : 75,95% ; 10,42% ; 9,85%. Plus récemment en juin, suite à l’annonce de la finition imminente de l’une de ces maisons, on nous sonda à nouveau. La question était : étions-nous pour que l’on cesse ce projet onéreux ou encouragions-nous sa poursuite ? Cette fois aussi, le résultat ne fit aucun doute : 66,44% pour son abandon ; 24,15%, pour sa continuation, les autres sondés ne se prononçaient pas. Aucun article de journal ne mentionna la moindre adhésion à cette solution. Non plus aucune personne de mon âge ne manifesta le désir de vivre dans une telle habitation. Alors, pourquoi ajouter au tableau déjà si peu reluisant cette couche de dorure ?  Croit-on qu’elle puisse effacer la honte ressentie par tous au rappel des conditions misérables de fin de vie des 5060 victimes de 2020 ? Voilà ce qui confirme éloquemment une vérité criante, source de bien des dérives :

Quand les vieux parlent, on ne les écoute pas !

Pour la grosse majorité des québécois, ce qui urge est l’accessibilité aux soins et services à domicile. En amont des soins médicaux à domicile, les services à domicile les ont précédés. Au-delà des scènes touchantes de certains reportages télévisuels montrant des gens âgés dépendants qui n’arrivent plus à se tirer d’affaire tout seuls dans leur maison, il y eut énormément de petites choses apparemment banales qui, d’érosion de jarnigoine en érosion de jarnigoine, ont abouti en une perte bien réelle d’autonomie. Cette dernière est venue sournoisement, petit à petit, un bon matin ce fut : ça ne peut durer ainsi…

La merveilleuse longévité actuelle n’a pas été décidée par nous les vieux. Je ne crois pas au mur-à-mur d’une unanimité acceptée, voire souhaitée. Les exemples du contraire existent pour peu qu’on écoute et observe autour de soi. J’en ai vu quelques-uns, mais surtout je suis à l’affût de toutes lectures sur le sujet. Lorsque la prolongation de la vie s’instaura peu à peu, subjugués par les progrès phénoménaux de la science médicale, on a omis un exercice de jarnigoine essentiel : préparer la société au vivre-ensemble qu’elle entraîne.

Notre population n’y est pas du tout prête.

L’exemple suivant illustre bien ce que je compte exprimer par la suite. L’employé.e d’un grand marché qui, au téléphone, vérifie gentiment, patiemment votre liste d’épicerie, tissant ainsi un lien cordial, confiant, respectueux, fait davantage pour le rester chez-soi le plus longtemps possible que toutes les belles théories émises par les penseurs du haut de leur tour d’ivoire…

 

À suivre.

 

Michelle Anctil

 

Et la pollution sonore, qu’est-ce qu’on en fait?

 

Et la pollution sonore qu’est-ce qu’on en fait ?

Nous étions au jour béni où nous pouvions enfin nous démasquer dans les aires communes. Vite, retrouver les lèvres, regarder se dessiner les sourires, y lire des mots ! Dans le corridor qui mène aux casiers postaux et longe le grand salon, je vis des résident.e.s assis en demi-cercle, visages dénudés. Je leur jetai un bref regard et leur fis un bonjour de la main tandis que mes lèvres à moi se fendaient jusqu’aux oreilles pour signifier ma joie et ma délivrance. Je les savais partagées par tous. On aurait pu entendre voler une mouche tant l’intériorité avait de quoi se nourrir sans paroles. Une fois mon courrier récupéré,  je revins sur mes pas et me dirigeai vers l’ascenseur lorsque je fus dépassée (je marche très lentement à l’aide de deux cannes) par la récréologue. Constatant le silence et l’immobilité, elle s’écria :

Mais comme ça manque d’animation ici !

Elle se désolait de voir ses ouailles calmes et coites, peut-être craignait-elle que ce répit leur soit néfaste ? Pour ma part, je me réjouissais d’avoir participé à une sorte de communion de pensée à hauteur d’âme. Que serait-il arrivé si j’avais prononcé à haute voix l’exclamation qui me vint à l’esprit ? Pourquoi ces gens, pleins de reconnaissance, ne seraient-ils pas en état de réflexion, de contemplation, de méditation, du seul fait de l’allègement survenu aujourd’hui ?

Silence n’est pas synonyme de tristesse.  Immobilité n’est pas synonyme d’ennui.

Nos lieux de vie, émettent allègrement une pollution sonore intense si j’en juge par mon expérience actuelle. Il est désormais interdit de laisser les moteurs de véhicules tourner à vide. On travaille pour la planète ou on s’en fout, à chaque communauté de faire son choix. Décèle-t-on un contrevenant sur le vaste stationnement d’un grand centre commercial ? Vite, on s’empresse de l’avertir, ai-je déjà observé. Alors pourquoi les gros camions de livraison Gordon et autres, nous imposent-ils leur grondement strident pendant qu’on procède au déchargement ?  Ils en ont parfois pour plus d’une demi-heure. Passe encore pour les bip bip du « reculons », les grincements de freins, les va-et-vient des mastodontes voués à la cueillette des vidanges, aussi bien s’y faire, ils font partie de notre quotidien.  Mais ne pourrait-on pas au moins éviter, en plus de la pollution de l’air émise par les émanations d’essence, l’autre, la sonore ? En agissant ainsi, on nous vole des morceaux d’été précieux aux portes et fenêtres ouvertes, on nous oblige à tout fermer le temps que ça dure.

Le bénévolat exercé à la suite de la parution de mon premier livre* m’a beaucoup appris sur l’audition. Outre le fait que la vieillesse entraîne sa diminution, les vieux développent une plus grande sensibilité aux bruits forts, deviennent incapables de localiser de quel côté provient la parole ou le bruit. Souvent, ils sont conscients qu’on est bel et bien en train de parler mais ce qui est exprimé leur échappe complètement. La frustration de ne pouvoir comprendre, la captation amplifiée du moindre vacarme (nommée hyperacousie), voilà des limitations irréversibles qui accentuent leur fatigue et leur faiblesse. Des livres traitant du sujet ont alimenté mon empathie envers les malentendants. J’en ai retenu des avis éclairants :

« Nos oreilles ne sont pas programmées pour subir des niveaux sonores d’ample intensité. Nous devons prendre conscience de leur fragilité, car elles sont les tout premiers instruments du son, non du bruit. »

Pour finir : crier pour communiquer avec une personne sourde est la dernière chose à faire. Il vaut mieux la toucher doucement, lui faire face, bien la regarder et articuler d’une voix normale ce qu’on doit lui dire. Elle vous comprendra, je vous le garantis…

 

Michelle Anctil

*Un nid dans l’oreille Les Éditions Le Dauphin Blanc 1992.

 

La naissance de notre système de santé

La naissance de notre système de santé.

 

Je me rappelle vaguement l’accueil réservé aux énormes changements apportés à notre façon de recevoir les soins de santé dans les années 70. Comment procédait-on avant la carte-soleil ? Nous l’appelions humoristiquement la Castonguette en référence au Dr Castonguay, l’un des principaux fondateurs de l’assurance-maladie. Certaines catégories d’employés bénéficiaient d’une assurance-groupe défrayant partiellement le coût des consultations médicales, les autres devaient payer à mesure. De nombreux messages publicitaires, provenant du gouvernement nous incitaient à consulter, ne pas hésiter à voir un médecin. C’était à la fois rassurant et intimidant. Quant aux troubles mentionnés en exemples, ils n’étaient, à mon avis, vraiment pas assez sérieux pour en parler à un docteur. Avec le recul, je traduis mes doutes de ce temps par une protestation spontanée, bien actuelle celle-là : Que voilà le bar ouvert à l’hypocondrie qui sommeille à des degrés divers dans chacun, chacune !

Ce système de santé dont on attendait tant se révèle, plus de cinq décennies plus tard, un fouillis total. On a tenté à plusieurs reprises de le réformer, aucune tentative dans ce sens n’a amélioré son fonctionnement. Des innovations pertinentes, porteuses de redressement, ont été suggérées, malheureusement les rapports qui en sont issus dorment sur les tablettes depuis tout ce temps. Pourtant, dans sa conception initiale, il était réputé comme l’un des meilleurs au monde. Où est-ce que le bât blesse ? Quelles sont les causes de ce dysfonctionnement récurrent ? En cet après-pandémie et à la lumière de tout ce qu’elle révélé au grand jour, on s’applique à le refonder, entendre par là : vérifier ses principes de base, se réapproprier les plans les plus valables que l’on a ignorés, solidifier chaque pierre du solage de cette maison branlante, les refaire au besoin.  On ne peut que se réjouir de lire dans les journaux des articles fort éclairants, réflexions, avis, constatations d’où émerge une pointe de lucidité. Certains osent même remettre  en question le comportement de chaque individu, tant les dispensateurs de soins, médecins et infirmières, que nous les bénéficiaires. Quand un bateau entier frôle le naufrage, les responsabilités individuelles sont à revisiter à tous les échelons. Quelqu’un quelque part n’a pas fait ou a mal fait sa job, quelqu’un quelque part a abusé, s’est cru tout permis, a mal compris, mal interprété, a omis de réfléchir avant de faire sienne quelque théorie ou protestation aux arguments douteux. Lorsque la formule médecin de famille est survenue cela n’eut rien pour réparer l’état du bateau. Au contraire, il tanguait de plus belle.

Je lus avec bonheur une citation émanant du cabinet du ministre de la santé : « Il faut sortir de l’idée que tout le monde a besoin d’un médecin de famille. » Je me sens moins dissidente d’avoir spécifié sur un formulaire récent cette absence de besoin justement. A-t-on idée de la débarque que nous subissons, nous les vieux, par les temps qui courent ? Nous avons été élevés, avons grandi, avons vieilli en entretenant une admiration inconditionnelle pour les médecins et les infirmières. Enfant, je les hissais au rang de héros dispensateurs, sinon de guérison totale, du moins de réconfort, de confiance, nous les voyions peu souvent, mais lorsque cela arrivait, il irradiait de ces rencontres une aura presque magique.

Comme il serait dommage que le vingt-et-unième siècle s’avère celui qui a enterré la noblesse et le sens du sacré rattachés à la vocation médicale, la plus indispensable de toutes. Les valeurs qu’elle porte ne passeront jamais de mode, elles sont plus que jamais à ré-exalter…

 

Michelle Anctil

 

*Extrait de Ma vie quotidienne avec une accro (page 21) Les Éditions à Rebours 2015

 

 

La vie rétrécie (2)

La vie rétrécie (2)

Nous voici face à la 6ième vague. Il est vrai qu’on l’avait prévue, mais n’empêche… Elle n’a rien pour ralentir le rétrécissement de nos vies, surtout pour nous les vieux. Alors que vous, des générations qui nous suivent, êtes en mesure de vous réajuster, vous adapter, reprendre une grande partie des activités dont la COVID vous avait privés, il en est autrement pour nous. Le confinement a passablement rogné nos capacités de bouger, communiquer, partager. Privée de stimulations extérieures, notre vivacité d’esprit en a pris un coup. En un mot, nous ne pouvons rebondir, revenir à ce que nous étions avant la pandémie, ainsi le veulent les lois de l’âge.

Une vie rétrécie, qu’est-ce au juste ? On pourrait la définir comme la conséquence de nos pertes successives, des inconvénients se présentant plus nombreux de jour en jour. Elle est un frein, une réductrice d’énergie, une faucheuse de forces vives.

Il y a quelque temps, fut diffusé à la télévision un documentaire sur la vie dans les CHLSD. Je ne l’ai pas visionné, il ne m’attirait nullement. Qui, parmi les résidents de RPA qui ont vu le jour à la même époque que les vieux y étant décédés, a le goût de se tremper dans cette atmosphère ? Le hasard me permit d’en entendre un bout juste avant de changer de canal. La narratrice décrivait l’attitude d’une dame qui refusait un certain soin qu’elle ne pouvait assumer elle-même. À tort ou à raison, je perçus une désapprobation à l’endroit de cette femme. Instinctivement, en dépit de la brièveté de ce j’ai pu capter, je me suis mise dans sa tête, je comprenais son refus d’être rabaissée, réduite à l’impuissance, acculée à la dépendance. Sa vie était devenue rétrécie. Celle des victimes de 2020 l’étaient aussiJ’essaie d’imaginer ce que chacune d’elles pensait, à quel point elle avait conscience de la situation extrême où elle se trouvait. Il est un aspect que personne n’a évoqué : combien, parmi elles, étaient déjà seules et abandonnées par leurs proches bien avant la COVID ? À quand remonte le début réel de leur vie rétrécie ? Quelle en fut la cause décisive ? Si elles avaient pu s’exprimer, si elles avaient été en mesure d’être entendues qu’auraient-elles dit ? On n’écoute pas les vieux, c’est bien connu…

En parallèle avec ce désastreux événement, plusieurs ont perdu des êtres chers ces deux dernières années, pas nécessairement atteints par la COVID, leur parcours de vie en était à son aboutissement tout simplement. Un cas m’a particulièrement confrontée au point crucial suivant : peut-on en toute liberté opter pour la fin d’une vie rétrécie plutôt qu’à une prolongation qui n’a plus rien à voir avec la vie, la vraie, la dispensatrice d’amour et de paix ? Ma réponse est spontanément OUI ! J’ai salué la décision de cette en-allée, elle a été entendue, la frontière de l’interdiction dogmatique a été renversée par un altruisme bien compris.

Que de questions, reproches, soupçons, accusations, circulent ces jours-ci à propos de ce drame ! « L’hécatombe dans les CHLSD demeurera gravée dans les mémoires  » affirme un journaliste.* Un autre annonce la parution d’un excellent ouvrage : 5060. L’hécatombe de la COVID 19 dans nos CHLSD.* Ce branle-bas est dur à nos oreilles d’épargné.e.s, mais il est nécessaire au triomphe de la vérité. Puisse-t-il réhabiliter la noblesse de la vocation de ceux et celles qui nous consacrent leur vie !

Michelle Anctil.

 

* Michel David Le Devoir 2 avril 2022.

* Jean-François Lisée Le Devoir 2 avril 2022. Chez Boréal. Les auteures : Gabrielle Duchaine, Katia Gagnon, Ariane Lacoursière, journalistes à La Presse.

La vie rétrécie…

La vie rétrécie…

La pandémie qui achève, du moins en ses plus contraignantes retombées, a, pendant deux longues années, rétréci la vie de chacun de nous, âges et situations confondus. Nous avons dû effacer au tableau de notre quotidien un grand nombre de petites choses simples et douces qui, sacrifiées jour après jour, se sont transformées en de grosses pertes : rencontres, conversations, sorties, contacts humains, divertissements propices à une évasion bienfaisante, et tant de choses encore ! On pourrait allonger la liste à l’infini.

Le temps semble venu de mettre fin à l’isolement et accueillir, non pas la vaste ouverture au monde qui était notre lot, mais l’adhésion à une quotidienneté plus modeste, jalonnée de limitations acquises et assumées dont la continuation s’avère indispensable à notre sécurité. Rien ne sera plus comme avant, à chacun de recréer sa bulle de confort affectif et spirituel, reprendre ses activités porteuses de partage et d’épanouissement inhérents à un « vivre ensemble » harmonieux.

L’exaspération n’a pas d’âge, le désir de liberté non plus.

Lu récemment sur une chaîne d’informations continues :

« Des aînés se disent infantilisés par le gouvernement pendant la pandémie et réclament une allocation financière. »

Cette affirmation anonyme me laisse perplexe. Certains de mes articles pourfendent l’infantilisation exercée auprès des vieux.* Nos responsables semblent parfois nous confondre avec leurs enfants. Que vient faire le gouvernement là-dedans ? Les décisions viennent de haut, d’accord. Mais a-t-on idée de l’immense éventail d’interprétations à la disposition de ceux qui les appliquent sur le terrain ? Pourquoi cette infantilisation déboucherait-elle sur une allocation financière ? Elle bénéficierait à qui ? Les résidents de RPA et de CHSLD ou leurs propriétaires ?

Hélas, la pandémie n’a corrigé en rien la foi profonde de certains en l’argent solution-miracle à tout et pour tout.

« Croire en l’économie à tout prix nous dispense de sentiments autres que ceux liés à la mathématique du rendement et des résultats. La foi fait dans les deux sens, elle embellit ou elle enlaidit, selon la fin de la croyance. »*

Cette phrase du regretté Serge Bouchard, sage penseur québécois comme il ne s’en fait plus, est un sujet de réflexion tellement plus éclairant que tous les « raisonnements de barreaux de chaise » que l’on nous sert de toutes parts…

À suivre…

Michelle Anctil

* « Infantiliser les vieux : un incontournable automatisme ? »  (3 décembre 2020)

* C’était au temps des mammouths laineux Boréal compact (page 179)

Ô normalité, quand reviendras-tu?

                                           Ô normalité, quand reviendras-tu ?

 

         Que se souhaiter mutuellement pour cette année 2022 qui débute sur les chapeaux de roue ? Où la vertigineuse augmentation quotidienne des personnes attrapées par OMICRON nous sidère ? Vaut-il mieux éviter de formuler des vœux de santé alors que nous avons l’impression que cet intrus nous rit dans la face ? Si l’état actuel des choses ne nous fait pas comprendre notre impuissance d’humains parfois pompés d’orgueil, face à ce qui est plus fort que nous, notre absence d’humilité nous enfoncera davantage dans un déni néfaste. Il n’y a rien à tirer d’une telle attitude.

Aussi bien orienter son attention ailleurs, rêver aux précieuses petites choses pouvant embellir le quotidien, lutter contre la morosité constamment à l’affût lorsque se prolonge une situation indésirable. Chaque individu le fait à sa manière, utilise les moyens à sa portée, exploite les atouts qui lui sont propres. Pour ma part, mon Noël en apparence solitaire fut en réalité gratifié d’une présence prestigieuse, à l’indéfectible fidélité, réconfortante, exaltante, dispensatrice d’une beauté de qualité exceptionnelle. La veille, le jour même et le lendemain, ont circulé en boucle à la grandeur de mon doux nid, des sonates de Jean-Sébastien Bach. Au piano, Glenn Gould, gloire de notre pays dont la perfection d’exécution est reconnue à la grandeur du monde. Pour agrémenter le tout, un accompagnement de violon, de clavecin, de viole de gambe. Mon Jour de l’An ne fut pas en reste. Au lieu que de Bach, ce furent des sonates de Mozart jouées par Marc-André Hamelin, l’un de nos meilleurs pianistes québécois, qui égrenèrent leurs perles de joie, ne laissant aucune place aux regrets et aux chagrins. La musique engendre un bonheur simple et pur là où les clairons de la mondanité ratent la cible.*

« Chose certaine : la vieillesse place celui qui la traverse dans un état perpétuel de deuil à mesure que partent ceux qui l’entourent. »

Cette phrase de l’écrivain Naïm Kattan, extraite d’une entrevue dans Le Devoir il y a quelques années, avait arrêté mon attention, mais c’est seulement maintenant que j’en mesure toute la véracité. Vient un temps où ceux que nous avons perdus dépassent en nombre ceux qui nous restent. La période des Fêtes est propice à ce genre de bilan, la vie des vieux est inévitablement jonchée de pertes successives, ainsi va le destin des humains que nous sommes.

Que l’on me croie sur parole : mes Fêtes furent bonheur et sérénité…

Michelle Anctil

*Extrait d’un manuscrit en cours : Post-scriptum et Nota Bene.

 

 

 

 

Les étonnantes subtilités de l’âgisme

                                                                       Les étonnantes subtilités de l’âgisme

 

         Certains parmi nous, donnons à des organismes caritatifs. Nos dons sont modestes, à hauteur de notre catégorie classe moyenne. Grande fut ma surprise en recevant récemment de la Croix-Rouge, de la Société Canadienne du Cancer, de la Fédération canadienne de la faune, une énorme enveloppe contenant un rappel que je qualifierais de bien accompagné. De quoi ? Le premier mot qui me vient à l’esprit est …bébelles. Des stylos de couleurs variées, certains avec mon nom gravé dessus, des gants en je ne sais quel tissu, destinés à un mystérieux usage, – pelleter de la neige peut-être ? –, quantité de feuilles de textes justifiant la quête de dons, répétitifs comme si le ou la destinataire avait besoin de nombreuses phrases pour comprendre.

 Pourquoi ces ajouts ? A-t-on soudain découvert mon âge respectable ? Il y a un an, un organisme dédié aux aînés seuls, m’a noyée de cadeaux, de bouffe en particulier : du chocolat, des tartinades, de la confiture.  Y avait-il erreur sur la personne ? On me supposait vénérable grand-mère à la progéniture imposante ? Comment une aînée seule, de surcroît confinée, pouvait-elle partager ce surplus ?

Cette façon de faire s’inscrit dans ce que je nomme « L’incontournable automatisme d’infantilisation des vieux. » Le second mot qui me vient est gaspillage. Ces choix manquent du plus élémentaire bon sens, ont été faits sans réfléchir à la condition des personnes à laquelle on s’adresse. Habituellement les bébelles sont de qualité inférieure et prennent rapidement le chemin de la poubelle. La pandémie ayant entraîné une distribution accrue de subventions, on a raté l’occasion de cibler les vrais besoins. Nous, les vieux, payons des impôts comme tout le monde, ironiquement nous contribuons donc à ce gaspillage.

Ce comportement fait surtout insulte à notre intelligence, nous ravale au rang de gens incomplets incapables de discernement, prêts à accepter n’importe quoi sans protester. Entendu à satiété : les vieux ont besoin de parler… J’abonde en ce sens, rien de plus vrai. Parler, d’accord, mais à qui ? Venant d’un accordeur de piano : c’est pas grave si le piano d’une RPA donne des fausse notes, les vieux ne s’en aperçoivent même pas… À chaque fois que je demande pourquoi le bingo, pourquoi les chants de Noël, genre : Enwoye enwoye la titetitetite ! Enwoye enwoye la tite jument ! ou : Partons la mer est belle ! on me répond que ce sont les vieux qui le désirent, ça les rend heureux. Je doute fortement d’une pareille unanimité, cela m’apparaît du « mur-à-mur » plus commode qu’autre chose.

Un second Noël sous pandémie atténuée est à nos portes. Serait-il possible de nourrir notre âme et notre esprit de beauté, sans nous tremper dans une ambiance surannée aussi réductrice ?

                                                                            JOYEUX NOËL À TOUS !

Michelle Anctil