Montréal ou le syndrome du gros nombril.
Jamais la métropole n’aurait pu mieux témoigner de sa position bien à part du reste du Québec que par les résultats des élections récentes. À les considérer attentivement, il est impossible de nier l’évidence : oui, vraiment, nous vivons sur deux planètes différentes. Sur la première règne Montréal, sur la seconde s’échelonnent les régions dont plusieurs se situent à des distances considérables du nombril de notre grosse de famille.
Que j’explique d’abord la provenance de ce titre. Il coiffait, il y a plusieurs années, l’un des segments d’un essai personnel intitulé : Litté/rupture paru sur Internet. Accumulant les lettres de refus des maisons d’éditions, dont les plus prestigieuses ont pignon sur rue à Montréal, je m’interrogeais sur les motifs des verdicts négatifs à répétitions. Et pour cause : avant d’asséner le coup fatal aux manuscrits soumis, la plupart des réponses étaient émaillées d’éloges du genre : nous avons lu avec un vif intérêt ; la qualité de votre texte n’est pas en cause ; nous l’avons trouvé fort bien écrit ; le récit est bien construit ; et j’en passe. J’en arrivai vite à la conclusion : les apprentis écrivains qui écrivent bien ne sont pas les bienvenus à Montréal. Ils ont le tort de provenir de trop loin. Leur vocabulaire sonne aux oreilles comme des cailloux bruts forçant le couvercle de coffrets à bijoux raffinés. Une vérité s’en dégage : déjà il était vrai que Montréal regarde de haut ce qui vient des régions.
Et le nombril de la grosse de famille, que vient-il y faire ? L’humour est l’arme la plus efficace pour contrer l’amertume et la révolte, et nous, gens des régions, n’en manquons pas. Dans cet essai qui ne se prenait vraiment pas au sérieux, Montréal était considérée comme la grosse de la famille du Québec. En effet, qui ne connaît pas une grosse faisant partie d’une famille quelque part ? Habituellement, ces grosses sont exceptionnellement jolies, leur visage au sourire facile, aux traits harmonieux, leur amabilité spontanée en font des personnes fort attachantes. Malheureusement, le tableau familial se gâche dès l’instant où la grosse, habituée de monopoliser l’attention, en vient à ne voir rien d’autre que son nombril. En-dehors de lui, tout disparaît, les évènements, les circonstances, heureuses ou déplorables, ont beau être le lot de tous, elle n’en a cure et se lamente si son gabarit ne lui assure pas la primauté automatique des interventions gouvernementales.
Un autre ouvrage, un roman celui-là*, ne donne pas cher pour la débrouillardise des Montréalais. À lire certains passages, il saute aux yeux qu’ils ne sont vraiment pas des champions du système D ou du plan B. Un personnage de grand-oncle d’une région lointaine, presque de l’arrière-pays, réagit devant les reportages télévisés de la crise du verglas en 1998. Sur l’écran défilent des images du désastre. Un monsieur endimanché, immobile, paralysé, contemple son auto recouverte d’une épaisse couche de glace. Pas du tout compatissant, le vieil homme rigole : « Eh bonhomme ! Ça fondra pas rien qu’à regarder ! Un p’tit coup de grattoir peut-être ? » Puis, devant un monticule de bois de chauffage, dons provenant des régions, il dit à sa vieille : « Pourvu qu’ils croient pas que le chauffe-eau va repartir rien qu’à placer des bûches tout autour ! »
Ces extraits fictifs sont à prendre avec un grain de sel. N’empêche. Qu’en sera-t-il de cette dichotomie métropole-régions lorsque le Québec deviendra indépendant ? Sera-t-il un pays à deux paliers, le Haut-Québec et le Bas-Québec ?
Et si, d’ici là, des pierres de solidarité s’empilaient une à une pour former une base à toute épreuve lorsque le temps de l’autonomie totale sera venu ?
Michelle Anctil
*Crever les bulles, roman, Les Editions à Rebours 2012 (page 173)
Pas de trace du manuscrit Litté/rupture, j’aimerais bien le relire. Et qu’en est-il de Québec la belle…
Le premier été où je vécus en cette RPA, mon ordi subit un black-out inexplicable, nous avons essayé de récupérer ce que j’avais perdu peut-être, il est possible que ces deux éléments se trouvent soit sur une USB ou un instrument de sauvegarde installé par la technicienne qui m’avait alors secourue, avait reformaté mon disque dur. Sont-ils enregistrés sous un autre titre? Ce serait bonheur de les retrouver, ils me rappellent tellement de beaux souvenirs !