Les deux mots en V…
L’être humain se conduit parfois en paradoxe ambulant. C’est mon cas depuis que je publie ces blogues. Me voilà aux prises avec deux mots en V. Il en est un que j’exalte, je me pose le défi de lui redonner son lustre de noblesse, le réhabiliter en tant que porteur de sagesse, de savoir, d’expérience*. Depuis le tout début, je le tape sur mon clavier en caractères gras afin qu’il se détache et prenne la place primordiale qui lui revient : VIEUX. Je le porte avec une grande fierté que je souhaite contagieuse, de sorte que chaque individu de ma génération en soit atteint. L’autre mot m’horripile sérieusement. Dès qu’il est question de nous, on le sert à toutes les sauces, on le revêt d’un pouvoir de généralisation automatique : VULNÉRABLES. Si moi, qui ai entamé la seconde partie de ma tranche octogénaire, je refuse qu’on m’en coiffe, qu’on me l’attribue, qu’en sera-t-il de la catégorie des 70 ans+ à qui, ces derniers temps, on tente de faire croire qu’ils sont vieux ? J’espère qu’ils le réfuteront fermement. En 2022, il est faux, je dirais même à la limite malhonnête, de les y classer. À part certains cas extrêmes, à 70 ans on n’est ni vieux, ni vulnérables. Non qu’ils soient négatifs en leur sens premier, mais en ce qui concerne mon propos, leur utilisation est fortement prématurée.
Les regroupements humains, quelles qu’en soient les caractéristiques d’âge ou de condition, obéissent aux mêmes lois qui régissent tous ceux qui composent le reste de l’Univers. Des astres et des étoiles de la voûte céleste jusqu’aux troupeaux de bêtes, en passant par les peuples des quatre coins du globe, chaque élément possède son individualité, aspire à une vie distincte, une évolution qui lui soit propre. Je ne nie pas que les gens âgés, du seul fait de leur vieillesse justement, présentent un côté vulnérable lors de périodes critiques. Ce qu’il faut éviter est de les présenter sous cette étiquette avec insistance, laissant ainsi croire qu’ils le sont inévitablement, qu’il faille les traiter comme s’ils requerraient constamment des interventions monopolisant des ressources au détriment de besoins réels à combler ailleurs. Récemment, j’entendis au cours d’une émission à TQc, Boucar Diouf, homme sage s’il en est un, souligner à quel point il est nécessaire d’user de nuance dans notre interprétation des évènements d’ordre politique ou autre. Nuance… voilà un autre mot trop peu entendu dont les manifestations concrètes sont rares sinon absentes en notre vie publique actuelle. Ça n’est pas user de nuance que de parsemer le vocabulaire qui nous est consacré de mots lourds, évocateurs d’inconfort, malaises, limitations, plutôt que de sérénité, joie douce, libre expression, humour assorti d’un brin d’autodérision, propice à l’allègement des humeurs qui pourraient vouloir bifurquer vers des allées sombres. Les mots ont toujours une longue portée, qu’ils soient répétés à un enfant ou à un vieillard, à force de les entendre, l’un comme l’autre aura tendance à devenir ce qu’ils décrivent. À force de se faire traiter de vulnérables on le devient, l’écolier qu’on traite de paresseux continuera de plus belle à lambiner au lieu que d’étudier. Tant qu’à se faire coiffer d’un chapeau pourquoi ne pas le porter en permanence, n’est-ce pas ?
Sur un autre sujet, il y avait un grand absent au face-à-face de jeudi dernier à TVA : le SAVOIR-VIVRE. Se montrera-t-il le nez au débat de demain ? C’est à souhaiter. Sinon notre monde politique à venir se révélera en plein déclin de decorum, élément essentiel à l’aspect noble de sa mission.
Comment éviter de parler d’élections…
Michelle Anctil
*Notre PM est un idéaliste le 19 juin 2020