La vie rétrécie (2)

La vie rétrécie (2)

Nous voici face à la 6ième vague. Il est vrai qu’on l’avait prévue, mais n’empêche… Elle n’a rien pour ralentir le rétrécissement de nos vies, surtout pour nous les vieux. Alors que vous, des générations qui nous suivent, êtes en mesure de vous réajuster, vous adapter, reprendre une grande partie des activités dont la COVID vous avait privés, il en est autrement pour nous. Le confinement a passablement rogné nos capacités de bouger, communiquer, partager. Privée de stimulations extérieures, notre vivacité d’esprit en a pris un coup. En un mot, nous ne pouvons rebondir, revenir à ce que nous étions avant la pandémie, ainsi le veulent les lois de l’âge.

Une vie rétrécie, qu’est-ce au juste ? On pourrait la définir comme la conséquence de nos pertes successives, des inconvénients se présentant plus nombreux de jour en jour. Elle est un frein, une réductrice d’énergie, une faucheuse de forces vives.

Il y a quelque temps, fut diffusé à la télévision un documentaire sur la vie dans les CHLSD. Je ne l’ai pas visionné, il ne m’attirait nullement. Qui, parmi les résidents de RPA qui ont vu le jour à la même époque que les vieux y étant décédés, a le goût de se tremper dans cette atmosphère ? Le hasard me permit d’en entendre un bout juste avant de changer de canal. La narratrice décrivait l’attitude d’une dame qui refusait un certain soin qu’elle ne pouvait assumer elle-même. À tort ou à raison, je perçus une désapprobation à l’endroit de cette femme. Instinctivement, en dépit de la brièveté de ce j’ai pu capter, je me suis mise dans sa tête, je comprenais son refus d’être rabaissée, réduite à l’impuissance, acculée à la dépendance. Sa vie était devenue rétrécie. Celle des victimes de 2020 l’étaient aussiJ’essaie d’imaginer ce que chacune d’elles pensait, à quel point elle avait conscience de la situation extrême où elle se trouvait. Il est un aspect que personne n’a évoqué : combien, parmi elles, étaient déjà seules et abandonnées par leurs proches bien avant la COVID ? À quand remonte le début réel de leur vie rétrécie ? Quelle en fut la cause décisive ? Si elles avaient pu s’exprimer, si elles avaient été en mesure d’être entendues qu’auraient-elles dit ? On n’écoute pas les vieux, c’est bien connu…

En parallèle avec ce désastreux événement, plusieurs ont perdu des êtres chers ces deux dernières années, pas nécessairement atteints par la COVID, leur parcours de vie en était à son aboutissement tout simplement. Un cas m’a particulièrement confrontée au point crucial suivant : peut-on en toute liberté opter pour la fin d’une vie rétrécie plutôt qu’à une prolongation qui n’a plus rien à voir avec la vie, la vraie, la dispensatrice d’amour et de paix ? Ma réponse est spontanément OUI ! J’ai salué la décision de cette en-allée, elle a été entendue, la frontière de l’interdiction dogmatique a été renversée par un altruisme bien compris.

Que de questions, reproches, soupçons, accusations, circulent ces jours-ci à propos de ce drame ! « L’hécatombe dans les CHLSD demeurera gravée dans les mémoires  » affirme un journaliste.* Un autre annonce la parution d’un excellent ouvrage : 5060. L’hécatombe de la COVID 19 dans nos CHLSD.* Ce branle-bas est dur à nos oreilles d’épargné.e.s, mais il est nécessaire au triomphe de la vérité. Puisse-t-il réhabiliter la noblesse de la vocation de ceux et celles qui nous consacrent leur vie !

Michelle Anctil.

 

* Michel David Le Devoir 2 avril 2022.

* Jean-François Lisée Le Devoir 2 avril 2022. Chez Boréal. Les auteures : Gabrielle Duchaine, Katia Gagnon, Ariane Lacoursière, journalistes à La Presse.

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