Infantiliser les vieux, un incontournable automatisme ?
Ils le font tous. Ils ne peuvent s’en empêcher. Ça leur vient par un mimétisme bien ancré. Ils sont habités d’un irrépressible désir de s’apitoyer à tout prix. Ils veulent compenser, consoler, remplir le manque puisqu’ils nous voient comme des pleins de trous.
La semaine dernière, j’ai commis un énorme péché : j’ai refusé que l’on dote mon balcon d’un jeu de lumières. L’offre était gracieusement faite, rien à faire, rien à payer. Je me suis rappelé avoir entendu qu’une consigne générale avait été donnée de devancer l’installation des décorations extérieures, particulièrement cette année, histoire d’oublier le confinement, de jouer un tour aux heures de clarté qui reculent de jour en jour.
Que voilà une belle démonstration de générosité ! Je suis la première à le reconnaître. Je me réjouis que plusieurs résident.e.s, en aient profité. À mon coucher, avant de baisser mes toiles, je constate que les balcons sont maintenant tous illuminés. Sauf le mien. Je ne regrette pas mon refus. Occuper un appartement dans un immeuble, RPA ou autre, n’oblige en rien de suivre une consigne juste pour « faire comme tout le monde ». Au stade de vieillesse où j’en suis, ce genre de choses m’indiffère totalement. Il y a un temps pour tout en ce bas monde, l’un pour s’entourer de lumières artificielles, un autre pour tenter d’en posséder une à l’intérieur de soi, forte et scintillante autant que possible, qui n’a rien à voir avec une connexion à Hydro. À quoi sert-il de vieillir si, pour pallier aux limitations inévitables qui jalonnent notre quotidien, ne grandit pas en nous une sagesse permettant un tri entre l’essentiel et l’accessoire ? Pense-t-on que la COVID, toujours prête à gagner nos rangs, va changer d’avis en voyant cet étalement de couleurs ? Une évolution vers le détachement, vers une vision plus globale de la situation actuelle est déjà amorcée. Nous l’apprivoisons, y aspirons de toute notre bonne volonté.
À bien y penser, en nous offrant ce genre de compensation, on nous infantilise, subtilement. On s’adresse à nous comme à des enfants de cinq ou six ans, comme si notre statut d’octogénaires ou de nonagénaires, nous renvoyait automatiquement à une perception de cet âge.
Il en est des RPA comme des familles ou des écoles : l’esprit ambiant est fortement influencé par ce que les gens en autorité émettent. C’est là que le bât blesse. Je ne doute pas de l’amour et de la tendresse des préposé.e.s à notre égard, leur admirable dévouement en témoigne. C’est à un autre palier que se tisse la toile de fond qui teinte le « vivre ensemble » des lieux de vie.
Chers gestionnaires, réveillez-vous, allumez vos lanternes ! L’image que vous entretenez de nous est en train de changer: de plus en plus, les vieux seront réfractaires à « entrer dans un moule », affirmeront leur individualité, exerceront leur libre arbitre, prendront soin de garder le plus longtemps possible leur autonomie non seulement physique mais avant tout intellectuelle et spirituelle.
On aura beau devancer l’installation des décors, le solstice d’hiver, lui, ne changera pas sa date du 21 décembre pour autant. Il restera fidèle aux grandes lois de l’Univers.
Qui sommes-nous pour vouloir les adapter à notre soif du paraître ?
SOPH
Bonjour Soph,
Il est vrai que les gens oublient trop souvent de mettre leur énergie à briller de l’intérieur plutôt que de l’extérieur et c’est regrettable.
Rester authentique est tellement important et c’est une preuve de respect envers soi-même qui incite, je crois, les autres à nous respecter également.