De bruits et de cris.
Mine de rien, le premier quart du 21ième siècle achève déjà ! Si j’étais une grande penseure du précédent siècle, je lui apposerais cette étiquette : DE BRUITS ET DE CRIS. Ces temps-ci, peut-on trouver des zones de silence quelque part, un silence pur, ou même un tout petit silence de fond servant de base à la réflexion et à la contemplation ? Ouvrez votre téléviseur et essayez de capter une émission ne comportant pas de cris stridents à certains moments, vous n’en trouverez pas. Toutes les chaînes sont contaminées, sauf TQc et ARTV, devenues les favorites de ceux et celles qui prisent les propos cohérents et respectueux. Ailleurs, les échanges n’ont rien des conversations correctement structurées faisant la part belle aux questions-réponses qui éclairent, renseignent, retiennent l’intérêt. On coupe la parole, on prête une écoute distraite à ce que les invités ont à dire. L’ambiance en est une de salon chez-soi, à la bonne franquette, non celle d’un studio de télévision. Les vieilles personnes désireuses de rester dans le coup, s’y perdent. Déjà qu’elles subissent de plus en plus « …le débit trop rapide et la mauvaise élocution des propos et analyses présentés. »*
Vous avez une question à poser ou un rendez-vous à fixer et vous procédez par téléphone ? Vous entendez alors un flot de paroles ininterrompu, formant bientôt un magma confus. Vous n’y comprenez rien. Vous le dites, ou essayez de le dire et ça recommence, indéfiniment. Une grande partie de votre journée y passe, vous êtes épuisée. Vous n’avez obtenu aucune réponse. Un jour, je me suis donné une marche à suivre et je l’ai imposée. On verra bien, que je me disais. La personne au bout de la ligne avait actionné son moulin-à-paroles dès que j’eus formulé ce que j’attendais d’elle, mais je l’interrompis aussitôt et lui proposai de tout recommencer de zéro. Surprise, elle fit néanmoins silence et attendit. Et d’user d’un ton normal, de formuler ma demande par une phrase normale comportant sujet, verbe, complément, à une vitesse normale. Elle me donna alors le renseignement demandé, succinctement, calmement. Combien de temps avons-nous sauvé ? Sûrement de vingt à trente minutes, peut-être même davantage.
Mais d’où vient ce besoin de crier et de faire du bruit ? Quelle lacune profonde vient-il combler ? Depuis les débuts de l’humanité, le cri a pour fonction d’appeler à l’aide face à un grave danger. À l’autre extrémité, il sert à célébrer une joie, annoncer une victoire. Cette règle est toujours en vigueur. À titre d’exemple : en été, les cris incessants du coach de je ne sais quel sport en cours de match extérieur, dont les échos parviennent à nos oreilles à l’hyperacousie* exacerbée, sont-ils nécessaires ? Et l’interminable grondement du moteur des gros camions de livraison qui tournent à vide pendant tout le temps de leur déchargement, ne pourrait-il pas nous être épargné ? Le bruit constant est devenu la norme. Et si chacun tentait de l’atténuer ? Si on fermait doucement sa portière d’auto sans la faire claquer ? Et si les rouages de la machinerie lourde autour des gros immeubles étaient mieux entretenus ? Il en est qui, à défaut d’un graissage approprié, grincent si fort que l’on croirait entendre un animal que l’on égorge.
Parfois, je me dis que le jour où le Savoir-vivre a frappé aux portes, à bien des endroits il n’y eut pas de réponse. Dommage.
Michelle Anctil
*Extraits d’une lettre ouverte de Viateur Dupont, 89 ans, « Le Soleil » Québec.
*Hyperacousie : audition des gens âgés devenue plus sensible aux bruits forts