Autour de l’aide médicale à mourir.
Il faut se réjouir que soit discuté à nouveau ce sujet délicat, que l’on précise les motifs de la réclamer. Certains patients, même jeunes, confrontés à des souffrances aiguës, dont la qualité de vie devient inacceptable, la sollicitent. On ne peut que compatir et respecter leur démarche. Cependant, la catégorie des gens de mon âge est en tout premier lieu concernée. Le haut gestionnaire, aujourd’hui professeur à l’Université Mc Gill, David Levine, affirma au cours d’une émission télévisée : « La plus grande part des coûts en santé va aux soins auprès des gens âgés en perte d’autonomie. » Avant d’en arriver à cet état, ils ont vécu de multiples petits deuils quotidiens jusqu’à ce qu’ils affrontent la triste réalité de désormais dépendre des autres. L’acceptation de cette situation exige énormément d’humilité et d’abandon. À ce stade des choses, doit se déployer un dévouement exemplaire, les préposé.e.s possédant l’étincelle inextinguible d’une vocation authentique y parviennent. Ils sont d’autant plus admirables qu’ils ne sont pas assez nombreux, suffire à la tâche dans la mesure du possible relève de l’exploit.
Des mots-clés se bousculent sur la liste des réflexions résignées ou inquiètes des octogénaires de deuxième moitié que nous sommes. Le premier : dignité. Mourir dans la dignité. Comment définir cette notion qui peut varier d’une personne à l’autre ? Survivre à une hémiplégie ou aux conséquences limitatives d’un AVC par exemple, n’est-ce pas être condamné à une vie rétrécie ? Comment alors espérer mourir dans la dignité ? Le second : lassitude. La lassitude de vivre. Peu la confient ouvertement. Tous la vivent silencieusement. Elle s’insinue aux moments pénibles où la lenteur et la gaucherie des mouvements, les douleurs chroniques, embuent les réveils d’un brouillard d’incertitude : arriverai-je à faire ceci ou cela aujourd’hui ?
Parmi les commentaires suivant mon article dans Le Devoir du 26 août 2022*, il en est un qui suggérait ceci : « Tout comité d’études sur les soins de fin de vie devrait compter au moins un membre de plus de soixante-quinze ans. » J’ajouterais : et lui donner la parole. Plein de gens de bonne volonté expliquent, décrivent, affirment, suggèrent. Il ne vient à l’idée de personne d’aller sonder directement les vieux : comment envisagent-ils la suite des choses ? S’ils pouvaient l’exprimer clairement –ils en sont parfaitement capables– leur avis serait-il pris en compte ? Avant l’existence des recours actuels, la lassitude de vivre se faisait sentir, provoquant parfois l’ultime voyage de non-retour. Ma jolie petite maman décédée à 52 ans, que j’ai hélas trop peu connue, écrivait à son fils pensionnaire au collège, en date du 24 mai 1946 : « Mercredi c’était le service de X, tu sais qu’elle s’est laissée mourir. » Des rumeurs circulaient. Elles parvenaient à nos oreilles d’enfants chargées de mystère : quelqu’un avait cessé de prendre ses médicaments, un.e autre n’ingurgitait plus aucune nourriture, un.e autre avait refusé une intervention qui n’aurait prolongé sa vie que de quelques mois. Selon toute apparence, leur choix délibéré ne scandalisait personne, ne donnait lieu à aucun jugement outré. Ces êtres souffrants étaient sans doute imprégnés d’une Sagesse innée, ils obéissaient à l’une des lois immuables de la Vie : il est inutile de forcer son destin, il y a un temps pour vivre, un autre pour mourir.
Notre perception de la vie terrestre est fortement édulcorée. On agit comme si elle ne comportait pas d’après. Et s’il était une reproduction amplifiée de la beauté du monde, de la joie et de l’émerveillement dont notre cœur s’est extasié ? Et si le désir de partir avant l’asservissement final était un cri d’amour, une dernière signature auréolée de noblesse ?
Michelle Anctil
*À quand la vraie question ? À quand la vraie réponse ? 23 août 2022