Pourrait-on signaler les décès de vieux sans ajout de blâme ?
Le décès tragique d’une dame de 92 ans au CHSLD du Boisé Sainte-Thérèse a fait l’objet d’un article récent. Je n’ai pas regardé cette nouvelle à la télévision, ne l’ai pas lue non plus dans aucun journal. Et pour cause : je ne suis guère télévore, je suis très sélective des émissions que je regarde, sans doute la chaîne qui l’a diffusée ne m’est pas familière. Même sobriété dans le choix des journaux à lire : je parcours Le Soleil minutieusement chaque samedi et Le Devoir chaque dimanche. En version papier, cela va de soi. J’ai tenté de retrouver l’article sur Internet, mais l’obligation de fournir un mot de passe m’en a dissuadée. Avec tous les mots de passe exigés pour ceci ou cela, chacun de nous pourrait faire un livre complet. Les mots de passe sont les pires assassins des neurones des vieux. D’où mon parti pour « la modération a bien meilleur goût » auquel je demeure d’une fidélité extrême.
Une lettre ouverte publiée dans Le Devoir de samedi dernier m’inspire quelques réflexions.* Je n’en apprécie guère le ton et certaines expressions éculées me font bondir. Concernant cette dame, j’ai tout de même pu voir sa photo. Elle est superbe. Son visage dégage tant de joie, son regard est si allumé que d’emblée, on s’émeut profondément de sa triste fin, on partage le chagrin de sa famille. Ce n’est pas là que le bât blesse, mais ailleurs. Au-delà de ces circonstances déplorables à juste titre soulignées et déplorées, une trame de fond laisse entrevoir la perception bifurquée de la vieillesse et de la mort qui sévit actuellement dans notre société. Elle fait fi des incontournables lois de la vie, par exemple : il est normal de passer de l’autre côté à 90 ans et plus… ou : la mort n’est pas un départ, elle n’est qu’un changement de zone… et autres incontournables réalités. Entendre ou lire des opinions faisant tout un plat de ce qui, somme toute, fait partie du déroulement normal d’une vie n’aide personne. Blâmer le système ou le gouvernement non plus.
Ne faites pas de nous des gens misérables et impuissants. Ne généralisez pas des situations extrêmes isolées. Épargnez-nous vos phrases stéréotypées usées à la corde : en otage… maltraitance… aînés=individus de classe inférieure… etc. Le rappel du legs de personnes ayant contribué à la sueur de leur front au confort de notre société…me renvoie automatiquement à celle des travailleurs actuels, préposés, infirmiers et autres. Du haut de mes quatre-vingt-huit ans, j’ai sous les yeux des preuves quotidiennes de dévouement et d’amour, de respect et de générosité. Je n’ai jamais eu connaissance du moindre acte d’abus envers les vieux que nous sommes, encore moins de maltraitance. J’adhère de toute mon âme à la conception de la mort en tant que dernière étape de vie, non d’un épouvantail à redouter. À celle de la vieillesse en tant que superbe occasion de se détacher des accessoires qui ont accompagné nos actions pour n’en garder que l’essentiel. Il est impossible, avec de pareilles options de simplicité et d’abandon total à la Vie Pleine, que le chapeau du misérabilisme tente de nous coiffer.
Tout évolue autour de nous et en nous. Les interventions empreintes de bonne volonté et d’empathie qui nous concernent doivent évoluer aussi. Jamais il n’a été aussi pertinent d’affirmer : On n’abordera jamais plus les vieux et leurs conditions comme on l’a fait jusqu’à maintenant.
Michelle Anctil
*Personnes âgées prises en otage, Henri Marineau (Le Devoir 12 août 2023