Ignorance, irrespect, absence de bonnes manières, indifférence = un cocktail fatal.
La lettre ouverte de Micheline Lanctôt dans Le Devoir m’a particulièrement interpellée*. Il y est question d’atmosphère de party dans le département de soins intensifs d’un hôpital, de l’absence d’écoute de ses avis en tant que compagne du patient, d’une urgence saturée et bruyante et autres situations inacceptables justifiant la conclusion : L’hôpital a tué mon conjoint ; je ne jette la pierre à personne, c’est le réseau qui est devenu inhumain. Un jugement aussi impitoyable suite à une démarche médicale au déroulement de faits tous aussi étonnants et inappropriés les uns que les autres ne m’étonne guère. Va pour cet aboutissement fatal, déstabilisant totalement sa vie, la confrontant de ce fait à une séparation précoce, inattendue.
Mais qu’en est-il de nos conditions à nous qui essayons de nous dépatouiller dans le dédale de ce système dont on se demande parfois s’il ne s’agit tout simplement pas d’une immense farce n’ayant rien à voir avec nos vrais besoins d’individus vieillissants, une tentative de nous plonger dans une confusion entretenue de façon presque machiavélique. Combien d’aînés ont perdu leur médecin de famille en cours de route parce ce qu’il ou elle a pris sa retraite ? En chercher un.e autre requiert de l’énergie et de l’endurance, peut même s’avérer périlleux tant sont difficiles les contacts véritablement humains, entendre par là : découvrir au bout de la ligne une voix humaine, une vraie personne bien vivante qui vous répond, vous écoute, quelle aubaine ! Ne vous réjouissez pas trop vite ! Le système est à ce point détraqué qu’en dépit d’une scrupuleuse obéissance aux directives, un simple transfert à une autre ligne vous retourne à votre point de départ : cette seconde voix humaine n’a aucune idée de votre recherche. Vous auriez bien tort de vous offusquer, vous sentir abandonné, mais non, il n’en est rien, on vous le jure. La preuve : commence dès lors un déferlement de messages, votre courrier électronique en est inondé. Mises à jour, confirmations, incitations, bref de tout sauf du moindre embryon d’une solution concrète, incarnée, humaine, basée sur le bon sens.
Nous ne sommes pas à un paradoxe près. Si un centième du temps et de l’énergie consacrés aux interminables rapports, tentatives de réformes, enquêtes, était appliqué à agir concrètement, si un regain de sagesse envahissait les esprits, si le spot d’une vision plus globale ciblait les défis à affronter, on pourrait offrir aux vieux un dernier sprint au rétrécissement graduel acceptable. Le paradoxe le plus criant : d’un côté, on parle à s’en étourdir, on décortique, on analyse, on anticipe ; de l’autre, aucune réponse tangible, efficace ne se présente. En chaque être humain couvent des éclairs d’âme qui ne trouvent aucune issue, vu le contexte actuel, les voilà condamnés à l’état inéluctable de cendre.
Mais la nature en décide autrement. Soudain, le feu éprouve une faim féroce, il dévore tout sur son passage. Le vent est devenu fou, il déploie son souffle sans aucun contrôle. L’eau, enivrée de sa propre abondance, se déverse là où il ne faut pas. Tout en haut, la fumée se condense, elle restreint notre aspiration à un air en perte de pureté.
Nos âmes n’ont qu’un choix : reprendre leur existence en main. Redevenir aimantes, compatissantes, puissantes. Abattre les frontières. Former une farandole à portée d’infini. Épandre sur les plaies de notre monde actuel un baume de confiance et d’espoir.
Michelle Anctil
*Le système de santé est détracté, Monsieur Dubé! ( Le Devoir, samedi le 20 mai 2023)