Des jalons sur la route de la détérioration.
De toutes les strates composant le système de santé, il est remarquable comme celle des médecins est épargnée. Et pourtant leur importance y est primordiale. Alors pourquoi n’émettons-nous jamais de critiques et de reproches à leur endroit ? Il y a ceux qui ont assumé pendant un certain temps la fonction de ministre de la santé. À ce sommet, la pluie des oppositions et désapprobations les arrosait abondamment, c’est de bonne guerre, mais les autres ? Sont-ils intouchables ? Dans l’article « La naissance de notre système de santé » déjà paru*, j’évoquais les nombreux messages gouvernementaux se résumant à l’incitation : parlez-en à un médecin ! J’y voyais un bar ouvert à l’hypocondrie qui sommeille à des degrés divers dans chacun, chacune…
Il y a quelques décennies, on pouvait encore se présenter dans une clinique sans rendez-vous en étant sûr d’y être vu par un médecin. D’année en année, de toutes petites choses ont pris de l’ampleur, elles ont formé des jalons successifs ayant débouché sur la situation actuelle. Un jour, faisant fi des nombreuses personnes en attente, des médecins sortirent de leur bureau respectif, et se regroupèrent au bout d’un corridor. D’autres, la consultation en cours bouclée, vinrent les rejoindre. Ils riaient beaucoup. Cela dura pendant plusieurs minutes. Désinvolture inappropriée ? Un autre jour, dans le département d’ophtalmologie d’un grand hôpital, une patiente portant un bandage sur un côté de la tête, sans doute opérée depuis peu, semblait très mal en point. Elle avait passé toute la journée de la veille assise au même endroit sans que quelqu’un ne s’occupe d’elle. Alors elle était revenue, décidée à rester tant qu’on ne la prendrait pas en charge. Un jalon plutôt inquiétant, non ? Dans un autre hôpital, en cardiologie, dans une salle d’attente bondée, les patients étaient appelés aux dix minutes. Chacun devait se présenter d’abord en radiologie. Les électrocardiogrammes allaient bon train. Une fois la chose faite, on revenait s’asseoir. Rencontrer un cardiologue par la suite était une toute autre affaire, ce grand nombre d’appelés ne faisait que bien peu d’élus. Plusieurs retournaient bredouilles, avec la consigne de revenir le lendemain. Une façon de procéder qui ressemblait à une mise en scène : Voyez comme ce département est envahi ! À l’urgence de n’importe quel hôpital, pour peu que l’on observe, cette impression d’assister à un spectacle se confirme : on y trouve des gens, silencieux, passifs, jouant fidèlement leur rôle de pôvres êtres souffrants résignés à attendre pendant des heures. Le scénario se déroule, toujours le même : après un triage lent à venir, chacun dispose d’un petit coin jusqu’au moment où il pourra dire enfin pourquoi il se trouve là. Il y eut aussi un jalon qui a, sinon bouleversé du tout au tout le système, du moins l’a secoué passablement : l’arrivée des femmes en médecine. Une copine et moi avions des neveux, fils de médecins, qui furent refusés à la faculté de médecine de l’université où leurs pères avaient été formés. Surprise totale, car leurs études collégiales étaient bien réussies. Dans les années 70 existait-il une sorte de contingentement privilégiant les inscriptions des jeunes filles au détriment de celles des jeunes hommes ?
De telles observations valent-elles la peine qu’on s’y arrête ? À prime abord, non. La question qui en résulte, oui. À quel moment l’étincelle de leur noble vocation a-t-elle été éteinte chez les médecins et infirmières ? Voilà encore mon GOF (Grand-Oncle Fictif) qui insiste pour répondre. Il trace dans mon imaginaire, en lettres immenses : L’arrivée des money makers dans leurs rangs ! La soif de l’exposure à tout prix ! Donc, ce serait l’attrait de l’argent et le goût du vedettariat ? Il n’y a pas que ça ! Et j’ajoute : parlez en français s’il vous plaît !
Michelle Anctil
*La naissance de notre système de santé 27 mai 2022.