À quand la vraie question? À quand la vraie réponse?

 

À quand la vraie question ? À quand la vraie réponse ?

             En ouvrant le journal ce samedi du 14 mai dernier, elle m’a sauté dans la face, impossible de passer outre. Juste au-dessous de LIBRE OPINION, le titre m’interpella sans aucun ménagement : Fatiguée de vivre ainsi.  Le signataire expose le cas de sa maman de 91 ans sur trois colonnes de texte, criant de lucidité, décrivant des états de mal-être, chacun grugeant chaque jour davantage une réserve de tolérance déjà effritée par les crocs impitoyables de l’âge. Pertes, limitations, impuissance, expérimentation de soins divers, changements de médication, séjour à l’hôpital, déplacements d’un lieu à un autre. La litanie d’une longévité imposée est interminable, sa voix percute le socle d’un monument érigé à la gloire de la science. J’ai surligné en rose certaines phrases comme pour en atténuer la teinte sombre. La plus frappante : Mais le système de santé étant ce qu’il est, on pousse ces pauvres personnes âgées qui n’en peuvent plus de vivre à vivre encore plus longtemps. Puis, ici et là, de simples expressions on ne peut plus éloquentes et évocatrices de la triste réalité : …personnel surchargé …roulement de personnel …ne peut rien garantir …listes d’attente très longues… La dernière résume tout : Ma mère veut tout simplement partir… Voilà un exemple parfait de ce que j’appelle une vie rétrécie.

Au tout début de ma vie en RPA, un jour, une gentille dame de 93 ans, intéressante et allumée, avec qui je dinais le midi, me dit sur un ton où transperçait l’impatience : Nous vivons trop vieux !  Une autre, sans doute du même âge, m’apprit le décès de son second mari datant de seulement quelques mois et exprima, un trémolo dans la voix, un souhait désespéré : Ce que j’aimerais m’en aller derrière les nuages moi aussi !

Ces dames étaient-elles les seules à entretenir de telles pensées ? Combien d’autres vieux refusent la continuation de leur vie rétrécie sans l’avouer afin de ménager leur entourage ? Ou les représentants de l’autorité ?  Ce sujet, délicat entre tous, flotte dans une vacuité néfaste : jamais il n’est franchement abordé. On l’évite, on le contourne, on l’occulte, à peine osons-nous dire avoir perdu un être cher récemment, le sujet semble tabou. On fait comme si on ignorait que, devant nous, il reste bien peu de temps et qu’usant de son libre arbitre il appartient à chacun de s’exprimer ouvertement sur la façon dont il désire finir. Aurions-nous pu éviter le nombre effarant des victimes de 2020, du moins le diminuer, si, avant d’atteindre leur état ultime de dépendance et d’impuissance, ils avaient pu faire savoir qu’ils aimaient trop la vie belle, pleine, libre, sereine, pour imposer aux êtres aimés le spectacle et la charge d’une vie devenue trop rétrécie en toutes ses fibres et tous ses tissus ?

Je ne sais quel âge j’avais. Mon père devait assister à deux messes à chaque dimanche. À la petite messe de 7 heures où il communiait en étant à jeun, et plus tard, à la grand-messe où il chantait dans la chorale. Entre les deux, il prenait son déjeuner. Ce matin-là, la porte s’ouvrit brusquement, l’un de mes cousins, complètement effaré, entra sans frapper et annonça : Mon oncle, c’est fini, la belle-mère est passée de l’autre côté ! Mon père, qui se balançait parfois sur les pattes arrière de sa chaise tout en mangeant, tomba à la renverse et se retrouva par terre étendu sur le dos. La belle-mère en question était sa sœur.

Ce jour-là, dans ma petite tête d’enfant, je sus ce qu’était la mort. Ça fait passer quelqu’un qu’on aime de l’autre côté et ça provoque une bien grosse surprise quand on l’apprend. Mourir ça n’est pas partir, c’est juste changer de place. Mourir ça n’est pas cesser de vivre, c’est juste vivre ailleurs. D’un côté à l’autre l’amour circule comme si de rien n’était.

Pourquoi donc évitons-nous tant d’en parler telle qu’elle est ?

Michelle Anctil