Les maisons des aînés versus jarnigoine

Maisons des aînés versus jarnigoine…

 

Lorsque j’étais enfant, il est un mot que j’ai souventes fois entendu, maintenant disparu de notre vocabulaire. Je n’eus aucune difficulté à en saisir le sens même en mon tout jeune âge. Lorsque mon père et les autres adultes trouvaient que quelqu’un prenait des décisions  inappropriées, jugeaient un projet ou une situation comme étant sans allure, on disait sur un ton exaspéré, presque scandalisé : « Qu’il, qu’elle a donc pas de jarnigoine celui-là, celle-là ! Ça a aucun bon sens son affaire ! »

C’est à n’y rien comprendre. En février dernier, le sondage hebdomadaire provenant de mon syndicat de retraités de l’éducation portait sur les maisons des aînés. Notre assentiment portait sur quatre choix en vue de l’amélioration de nos conditions de vie : 1) Les services à domicile ; 2) L’ajout de personnel ; 3) Les maisons des aînés ; 4) La réfection des CHLSD. Or le résultat plaça les maisons des aînés nettement au bas de l’échelle avec un pourcentage de seulement 3,79%, les autres récoltaient respectivement : 75,95% ; 10,42% ; 9,85%. Plus récemment en juin, suite à l’annonce de la finition imminente de l’une de ces maisons, on nous sonda à nouveau. La question était : étions-nous pour que l’on cesse ce projet onéreux ou encouragions-nous sa poursuite ? Cette fois aussi, le résultat ne fit aucun doute : 66,44% pour son abandon ; 24,15%, pour sa continuation, les autres sondés ne se prononçaient pas. Aucun article de journal ne mentionna la moindre adhésion à cette solution. Non plus aucune personne de mon âge ne manifesta le désir de vivre dans une telle habitation. Alors, pourquoi ajouter au tableau déjà si peu reluisant cette couche de dorure ?  Croit-on qu’elle puisse effacer la honte ressentie par tous au rappel des conditions misérables de fin de vie des 5060 victimes de 2020 ? Voilà ce qui confirme éloquemment une vérité criante, source de bien des dérives :

Quand les vieux parlent, on ne les écoute pas !

Pour la grosse majorité des québécois, ce qui urge est l’accessibilité aux soins et services à domicile. En amont des soins médicaux à domicile, les services à domicile les ont précédés. Au-delà des scènes touchantes de certains reportages télévisuels montrant des gens âgés dépendants qui n’arrivent plus à se tirer d’affaire tout seuls dans leur maison, il y eut énormément de petites choses apparemment banales qui, d’érosion de jarnigoine en érosion de jarnigoine, ont abouti en une perte bien réelle d’autonomie. Cette dernière est venue sournoisement, petit à petit, un bon matin ce fut : ça ne peut durer ainsi…

La merveilleuse longévité actuelle n’a pas été décidée par nous les vieux. Je ne crois pas au mur-à-mur d’une unanimité acceptée, voire souhaitée. Les exemples du contraire existent pour peu qu’on écoute et observe autour de soi. J’en ai vu quelques-uns, mais surtout je suis à l’affût de toutes lectures sur le sujet. Lorsque la prolongation de la vie s’instaura peu à peu, subjugués par les progrès phénoménaux de la science médicale, on a omis un exercice de jarnigoine essentiel : préparer la société au vivre-ensemble qu’elle entraîne.

Notre population n’y est pas du tout prête.

L’exemple suivant illustre bien ce que je compte exprimer par la suite. L’employé.e d’un grand marché qui, au téléphone, vérifie gentiment, patiemment votre liste d’épicerie, tissant ainsi un lien cordial, confiant, respectueux, fait davantage pour le rester chez-soi le plus longtemps possible que toutes les belles théories émises par les penseurs du haut de leur tour d’ivoire…

 

À suivre.

 

Michelle Anctil