Et la pollution sonore, qu’est-ce qu’on en fait?

 

Et la pollution sonore qu’est-ce qu’on en fait ?

Nous étions au jour béni où nous pouvions enfin nous démasquer dans les aires communes. Vite, retrouver les lèvres, regarder se dessiner les sourires, y lire des mots ! Dans le corridor qui mène aux casiers postaux et longe le grand salon, je vis des résident.e.s assis en demi-cercle, visages dénudés. Je leur jetai un bref regard et leur fis un bonjour de la main tandis que mes lèvres à moi se fendaient jusqu’aux oreilles pour signifier ma joie et ma délivrance. Je les savais partagées par tous. On aurait pu entendre voler une mouche tant l’intériorité avait de quoi se nourrir sans paroles. Une fois mon courrier récupéré,  je revins sur mes pas et me dirigeai vers l’ascenseur lorsque je fus dépassée (je marche très lentement à l’aide de deux cannes) par la récréologue. Constatant le silence et l’immobilité, elle s’écria :

Mais comme ça manque d’animation ici !

Elle se désolait de voir ses ouailles calmes et coites, peut-être craignait-elle que ce répit leur soit néfaste ? Pour ma part, je me réjouissais d’avoir participé à une sorte de communion de pensée à hauteur d’âme. Que serait-il arrivé si j’avais prononcé à haute voix l’exclamation qui me vint à l’esprit ? Pourquoi ces gens, pleins de reconnaissance, ne seraient-ils pas en état de réflexion, de contemplation, de méditation, du seul fait de l’allègement survenu aujourd’hui ?

Silence n’est pas synonyme de tristesse.  Immobilité n’est pas synonyme d’ennui.

Nos lieux de vie, émettent allègrement une pollution sonore intense si j’en juge par mon expérience actuelle. Il est désormais interdit de laisser les moteurs de véhicules tourner à vide. On travaille pour la planète ou on s’en fout, à chaque communauté de faire son choix. Décèle-t-on un contrevenant sur le vaste stationnement d’un grand centre commercial ? Vite, on s’empresse de l’avertir, ai-je déjà observé. Alors pourquoi les gros camions de livraison Gordon et autres, nous imposent-ils leur grondement strident pendant qu’on procède au déchargement ?  Ils en ont parfois pour plus d’une demi-heure. Passe encore pour les bip bip du « reculons », les grincements de freins, les va-et-vient des mastodontes voués à la cueillette des vidanges, aussi bien s’y faire, ils font partie de notre quotidien.  Mais ne pourrait-on pas au moins éviter, en plus de la pollution de l’air émise par les émanations d’essence, l’autre, la sonore ? En agissant ainsi, on nous vole des morceaux d’été précieux aux portes et fenêtres ouvertes, on nous oblige à tout fermer le temps que ça dure.

Le bénévolat exercé à la suite de la parution de mon premier livre* m’a beaucoup appris sur l’audition. Outre le fait que la vieillesse entraîne sa diminution, les vieux développent une plus grande sensibilité aux bruits forts, deviennent incapables de localiser de quel côté provient la parole ou le bruit. Souvent, ils sont conscients qu’on est bel et bien en train de parler mais ce qui est exprimé leur échappe complètement. La frustration de ne pouvoir comprendre, la captation amplifiée du moindre vacarme (nommée hyperacousie), voilà des limitations irréversibles qui accentuent leur fatigue et leur faiblesse. Des livres traitant du sujet ont alimenté mon empathie envers les malentendants. J’en ai retenu des avis éclairants :

« Nos oreilles ne sont pas programmées pour subir des niveaux sonores d’ample intensité. Nous devons prendre conscience de leur fragilité, car elles sont les tout premiers instruments du son, non du bruit. »

Pour finir : crier pour communiquer avec une personne sourde est la dernière chose à faire. Il vaut mieux la toucher doucement, lui faire face, bien la regarder et articuler d’une voix normale ce qu’on doit lui dire. Elle vous comprendra, je vous le garantis…

 

Michelle Anctil

*Un nid dans l’oreille Les Éditions Le Dauphin Blanc 1992.