La naissance de notre système de santé.
Je me rappelle vaguement l’accueil réservé aux énormes changements apportés à notre façon de recevoir les soins de santé dans les années 70. Comment procédait-on avant la carte-soleil ? Nous l’appelions humoristiquement la Castonguette en référence au Dr Castonguay, l’un des principaux fondateurs de l’assurance-maladie. Certaines catégories d’employés bénéficiaient d’une assurance-groupe défrayant partiellement le coût des consultations médicales, les autres devaient payer à mesure. De nombreux messages publicitaires, provenant du gouvernement nous incitaient à consulter, ne pas hésiter à voir un médecin. C’était à la fois rassurant et intimidant. Quant aux troubles mentionnés en exemples, ils n’étaient, à mon avis, vraiment pas assez sérieux pour en parler à un docteur. Avec le recul, je traduis mes doutes de ce temps par une protestation spontanée, bien actuelle celle-là : Que voilà le bar ouvert à l’hypocondrie qui sommeille à des degrés divers dans chacun, chacune !
Ce système de santé dont on attendait tant se révèle, plus de cinq décennies plus tard, un fouillis total. On a tenté à plusieurs reprises de le réformer, aucune tentative dans ce sens n’a amélioré son fonctionnement. Des innovations pertinentes, porteuses de redressement, ont été suggérées, malheureusement les rapports qui en sont issus dorment sur les tablettes depuis tout ce temps. Pourtant, dans sa conception initiale, il était réputé comme l’un des meilleurs au monde. Où est-ce que le bât blesse ? Quelles sont les causes de ce dysfonctionnement récurrent ? En cet après-pandémie et à la lumière de tout ce qu’elle révélé au grand jour, on s’applique à le refonder, entendre par là : vérifier ses principes de base, se réapproprier les plans les plus valables que l’on a ignorés, solidifier chaque pierre du solage de cette maison branlante, les refaire au besoin. On ne peut que se réjouir de lire dans les journaux des articles fort éclairants, réflexions, avis, constatations d’où émerge une pointe de lucidité. Certains osent même remettre en question le comportement de chaque individu, tant les dispensateurs de soins, médecins et infirmières, que nous les bénéficiaires. Quand un bateau entier frôle le naufrage, les responsabilités individuelles sont à revisiter à tous les échelons. Quelqu’un quelque part n’a pas fait ou a mal fait sa job, quelqu’un quelque part a abusé, s’est cru tout permis, a mal compris, mal interprété, a omis de réfléchir avant de faire sienne quelque théorie ou protestation aux arguments douteux. Lorsque la formule médecin de famille est survenue cela n’eut rien pour réparer l’état du bateau. Au contraire, il tanguait de plus belle.
Je lus avec bonheur une citation émanant du cabinet du ministre de la santé : « Il faut sortir de l’idée que tout le monde a besoin d’un médecin de famille. » Je me sens moins dissidente d’avoir spécifié sur un formulaire récent cette absence de besoin justement. A-t-on idée de la débarque que nous subissons, nous les vieux, par les temps qui courent ? Nous avons été élevés, avons grandi, avons vieilli en entretenant une admiration inconditionnelle pour les médecins et les infirmières. Enfant, je les hissais au rang de héros dispensateurs, sinon de guérison totale, du moins de réconfort, de confiance, nous les voyions peu souvent, mais lorsque cela arrivait, il irradiait de ces rencontres une aura presque magique.
Comme il serait dommage que le vingt-et-unième siècle s’avère celui qui a enterré la noblesse et le sens du sacré rattachés à la vocation médicale, la plus indispensable de toutes. Les valeurs qu’elle porte ne passeront jamais de mode, elles sont plus que jamais à ré-exalter…
Michelle Anctil
*Extrait de Ma vie quotidienne avec une accro (page 21) Les Éditions à Rebours 2015