Le lent apprivoisement avec les autochtones
Apprivoisement… disais-je. Prendre conscience que ce nouveau lieu appelé réserve indienne sera le mien, qu’il ne s’agit pas d’un court séjour, d’une simple visite, mais d’une année scolaire entière, sans sortir de la presqu’île avant le congé des Fêtes, voilà un sérieux sujet de réflexion. Mais à cet âge, on ne réfléchit pas très longtemps, l’attrait du nouveau prime sur le reste. Voir des visages de « peaux rouges », – selon l’appellation des livres d’histoire –, en grand nombre, tous les jours, s’intégrer à un groupe restreint de « blancs », requiert un lent apprivoisement. Pénétrer dans une salle bondée où se déroule un macoucham, y participer, tendre la main à l’homme qui vous demande de lui accorder une danse, adapter vos pas à un rythme qui vous est inconnu, proche d’un rituel envoûtant, vous y abandonner avec une aisance croissante… quel apprivoisement précieux, inoubliable ! De même celui de monter les quelques marches de la maison des parents d’élèves, y entrer en réprimant le réflexe de recul olfactif suscité par les odeurs nouvelles, jaser avec peu de mots, échanger des regards où la joie et la confiance s’insinuent graduellement, où les sourires suppléent au vocabulaire limité de la conversation, ainsi fut une expérience de jeunesse au milieu des année soixante.
Qu’en est-il actuellement plus de cinquante ans plus tard ? L’apprivoisement, empreint de bonne volonté, qui ne saute aucune étape, aboutit immanquablement à une acceptation de l’autre, en dépit des différences. C’est ce qui est vraiment en train de se réaliser, petit à petit, pas à pas. Le talent des artistes innus, littéraire et musical, explose, il enrichit notre culture d’une couche d’exotisme local, bien à nous, bien de chez-nous. Le peuple autochtone a pour principale caractéristique la lenteur. Il s’arrime au déroulement des choses sans le bousculer, sans l’interrompre, attend l’aboutissement sans s’énerver. Il est de notre devoir de nous y adapter
Et si, de leur côté, nos gouvernements agissent de façon tangible et efficace pour améliorer les conditions d’hygiène et de santé dans les réserves, une pareille semence ne pourra que faire lever la fleur de la réparation et de la réconciliation, d’autant plus resplendissante qu’elle aura été tardive.
Entendu un jour lors d’une entrevue télévisée : « Au fond, même si j’ai beaucoup souffert au pensionnat, peut-être que, sans ce séjour forcé, je n’aurais pu avoir la carrière que j’ai actuellement ? » L’artiste innu, par ce propos, venait poser une pierre d’honnêteté au mur de l’abominable scandale des enfants arrachés à leur famille. Il est bon qu’une telle réflexion vienne nuancer le désolant souvenir qui en reste. Des nuances on n’en apporte jamais trop quand on vise une communication authentique, un rapprochement en profondeur.
Michelle Anctil