Inoubliable Obedjiwan
Je fus particulièrement touchée par l’émission « Le Grand Solstice » soulignant la fête nationale des autochtones du 21 juin. Le succès grandissant des talentueux artistes issus des Premières Nations me comble, leurs prestations, sous une forme ou une autre, touchent en moi une fibre particulière.
Je m’explique.
Au début des années soixante, existait une tendance chez les jeunes gens d’aller vivre des séjours professionnels à l’étranger. Certains s’inscrivaient à un échange France-Québec, d’autres, dans un désir de missionnariat laïque ou simplement d’exercer ailleurs leur expertise, s’exilaient plus loin encore. À la pension pour jeunes filles où j’habitais, j’assistai un jour au retour de l’une d’elles. Je la dévorais des yeux, épatée de sa hardiesse, son aventure me fascinait. J’entrepris alors des démarches pour une année d’enseignement au Laos. Favorables au début, elles échouèrent bientôt à cause d’une restriction médicale : vivre en si haute altitude aurait été à la longue néfaste pour mon état cardiaque.
Immense déception.
Je fus cependant bien rapide à virer mon capot de bord. Ma soif d’exotisme fut plus modeste, il serait… québécois. C’est ainsi que je partis enseigner à Obedjiwan, réserve faisant partie du Réservoir Gouin. Pour s’y rendre il fallait passer par l’Abitibi, ensuite l’atteindre par hydravion. Je m’adaptai facilement à la mentalité autochtone. Les femmes surtout, jeunes, toujours souriantes, attiraient mon attention. Très habiles de leurs mains, je prenais plaisir à les regarder coudre de minuscules perles de couleur sur des mocassins dont l’odeur témoignait de leurs peaux fraîchement tannées. Les enfants étaient très attachants, dociles, serviables, ils irradiaient une belle joie de vivre.
En juin, on m’offrit une promotion, j’occuperais le poste de « principale » d’une école à Manowan, autre réserve, moins isolée, non loin de La Tuque. Eh oui, le Manawan de Joyce… Mal armée pour résister aux nombreuses mises en garde des blancs de mon entourage, je finis par y renoncer. Pire encore : je donnai ma démission.
Mon cœur, lui, y est resté. Quelques années plus tard, lorsqu’on rapportait des nouvelles des jeunes à Obedjiwan : drogue, ivrognerie, suicides, je pensais : « Ce sont peut-être les descendants de mes élèves de 1963… » J’en ressentais une grande peine. La découverte récente de cadavres d’enfants en Colombie-Britannique et en Saskatchewan me remplit de honte.
Comprend-on pourquoi Le Grand Solstice m’a tant émue et consolée ?
Michelle Anctil