De l’authenticité dans nos assiettes, s’il vous plaît !
À lire le menu quotidien que l’on me présente, l’exercice essentiel à mon prochain repas étant de cocher mes choix, je me trouve tellement privilégiée ! Quelle chance, en effet, que d’être propulsée dans le vaste monde ! La liste en est cosmopolite à souhait, avec une nette préférence pour l’Italie. À mon arrivée, personne ne m’ayant signalé l’existence d’un genre de Petite Italie dans le patelin où me voilà désormais citoyenne, je fus surprise, voire sidérée. Mais pas longtemps cependant. J’ai vite fait de comprendre que ce menu si propice à l’évasion imaginaire est plutôt l’initiative des responsables de la cuisine. S’y trouve-t-il des émigrés italiens ou d’autres provenances ? Si oui, je les salue bien bas et leur souhaite tout le bonheur possible en leur intégration dans notre beau pays.
Poulet Sante Fe ; Boulettes de dinde Buffalo ; Penne tomates et proscuitto ; Sandwich bœuf Philly ; Poulet thai ; Poulet parmigiana ; Fajitas de bœuf ; Polita mexicaine, et une grande variété de paninis aux amalgames parfois douteux. Avouons qu’il y a de quoi étourdir les pauvres vieux en attente de leurs repas. Les noms sont une chose, les mets en sont une autre. J’eus un jour une vive réaction à la découverte d’un ingrédient indésirable que cachait un nom prometteur de suave dégustation : Panini au rosbif. Le rosbif était bien présent, oui, mais enfoui sous tellement d’ajouts « pas rap’ », —comme auraient dit mes élèves du second cycle autrefois—, que je fus incapable de seulement le goûter. Ma mémoire me donna à voir à ce moment précis, le tableau familial, ô combien joyeux et festif, de nos dîners du dimanche lorsque j’étais enfant. Trônait alors au milieu de la table, un gros rosbif, fumant et juteux. Mon imagination y ajoute une scène improbable : ma mère faisant le tour de la tablée avec, à la main, une cuillère et un pot de Cheese Whiz : Quelqu’un en veut un peu avec son rosbif ? Eh oui, ce jour-là j’avais repéré les pauvres petites tranches de rosbif enduites d’un fromage fondant, dégoulinant, ainsi que d’autres composantes tout aussi « pas rap ».
La cuisine nouvelle introduite dans les RPA et autres lieux de vie est-elle appropriée ? Que non ! Le choix des plats n’est pas en cause, il est fort adéquat. C’est la forme sous laquelle on les apprête et les sert qui cloche. Au moment de les préparer, s’arrête-t-on au fait que les convives sont des gens âgés ? Quelle logique sous-tend ce parti-pris de verser dans l’exotisme ? Si on revenait à la base : des légumes simples, carottes, navet, fèves jaunes ou vertes, brocolis, etc. au degré de cuisson normal, un plat principal authentique, sans garniture mal venue, et voilà tout le monde content. Impossible de l’être si on est acculé à faire un tri dans son assiette, repérer les morceaux de viande noyés dans une sauce foncée le plus souvent sucrée, les éloigner du chou-fleur ou du brocoli presque à l’état non-cuit, y tasser dans un coin des poires coupées en dés, totalement perdues, cherchant leur raison d’être dans ce fouillis.
Que ne ferait-on pas pour sortir des vieux patterns culinaires dépassés ! Pourtant, il s’en faudrait de peu pour que chaque suggestion alimentaire, libérée de ces ajouts « pas rap », soit garante d’une jouissance gustative assurée, en toute simplicité.
La vie est toujours plus belle lorsque le PARAÎTRE n’empiète pas sur l’ÊTRE…
Michelle Anctil